Promulguée récemment, la loi encadrant la chefferie traditionnelle au Bénin interdit toute activité et déclaration à coloration politiques aux rois. Pourtant, dans une vidéo virale, le roi d’Allada a publiquement tenu des propos qui font polémique. Il bénit et félicite le président de la République et critique un parti de l’opposition pour avoir voté contre la loi sur la chefferie traditionnelle. Une sortie qui questionne sur le respect de cette loi et son application effective.
Depuis près d’un mois, le Bénin s’est doté d’un cadre juridique réglementant la chefferie traditionnelle. Promulguée par le président Patrice Talon, cette loi vise à mettre fin au désordre qui régnait dans ce secteur, où auto proclamations et querelles de succession faisaient loi. Si l’acte du gouvernement qui a pris l’initiative de ce texte est salué pour son ambition de réformer la fonction royale et de la maintenir hors du champ politique, il est aussi vrai que cette loi a fait des mécontents. Et force doit rester à la loi. C’est ce qui justifie notre questionnement face aux récentes déclarations du roi d’Allada qui viennent déjà mettre à l’épreuve application de cette loi.
En effet, dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, Sa Majesté Kpodégbé Toyi Djigla, roi d’Allada, a prononcé un discours qui suscite la polémique.
Le roi a salué l’initiative du président de la République en invoquant les mânes des ancêtres et Dieu pour le bénir : « Président Patrice Talon, au nom de nos illustres ancêtres, au nom des entités traditionnelles du Bénin, entités terrestres et maritimes, et en vertu des pouvoirs hautement sacrés qui nous sont conférés, nous vous bénissons.» Loin d’être contre le fait qu’un dignitaire salue une action du président de la république et prier pour que Dieu et les mânes de nos ancêtres le bénissent, ne devait pas susciter de polémique. Mais au regard des articles de la nouvelle loi, les propos tenus par le roi d’Allada sont perçus au sein de l’opinion publique comme un parti pris pour le gouvernement.
L’autre propos du roi Kpodegbé qui renforce les tenants de la thèse selon laquelle il a pris parti pour le gouvernement, et son adresse à l’endroit d’un parti de l’opposition.
Critiquer les députés du parti Les Démocrates qui n’ont pas voté pour la loi sur la chefferie traditionnelle, semble une violation flagrante de l’article 28 de cette loi.
« Quel que soit le mobile, ils devaient voter, accompagner le chef de l’État dans cet acte hautement positif, hautement sacré. » , a fustige le roi Kpodegbé. Il s’agit là des propos qui, en plus d’exprimer une claire orientation politique, ciblent explicitement un parti de l’Opposition, en contradiction flagrante avec les dispositions de la nouvelle loi. En effet, selon l’article 28, alinéa 1 : « Dans l’accomplissement de sa mission, le roi, le chef supérieur ou le chef coutumier a le devoir d’observer le principe de neutralité, d’impartialité, de réserve et de transparence ».Une disposition de la réforme que Sa Majesté Kpodégbé Toyi Djigla a semblé ignorer. Avant cette disposition , l’article 17, alinéa 2 de la même loi stipule que : « Le roi, le chef supérieur ou le chef coutumier ne peut être membre d’aucun parti politique. »
À la lumière de ces articles, la sortie du roi d’Allada apparaît comme une entorse manifeste à la loi. Ce qui pose un problème de crédibilité pour une législation encore jeune, censée assainir un domaine gangrené par les interférences politiques.
En prêtant allégeance au pouvoir en place tout en s’attaquant à ses adversaires, Sa Majesté Kpodégbé ravive les vieux démons de l’instrumentalisation des figures royales. Ces pratiques, décriées dans le passé pour leur capacité à diviser les communautés et à fragiliser la démocratie, semblent avoir la peau dure.
Il y a donc urgence pour les garants de la loi et les autorités compétentes de rappeler, avec fermeté, le devoir de réserve auquel sont désormais astreints les chefs traditionnels. Car si les rois se transforment en relais politiques, c’est l’esprit même de la réforme qui risque de voler en éclats.
