Le Premier Sommet économique de l’Afrique de l’Ouest (WAES 2025), tenu samedi dernier au Nigeria, a une fois de plus exposé au grand jour les fractures qui minent la CEDEAO, cinquante ans après sa création. Initié par le président nigérian Bola Ahmed Tinubu, ce sommet se voulait un moment de relance, un point de départ pour réinventer l’intégration régionale dans une communauté en quête de souffle nouveau.
Un fait majeur a marqué la rencontre : le discours frontal et lucide de Patrice Talon, venu réveiller les consciences face à une organisation qui traverse une crise existentielle à la cinquantaine.
Une CEDEAO essoufflée et divisée
Depuis sa création, jamais la CEDEAO ne s’était trouvée dans une position aussi fragilisée. Fait illustratif : seuls quatre chefs d’État ont répondu présent à ce sommet pourtant crucial. Une désaffection qui en dit long sur le désintérêt ou le désengagement progressif des membres à l’égard de l’idéologie communautaire.
Pourtant, ce sommet portait un enjeu stratégique : accélérer l’intégration économique régionale, fluidifier les échanges et harmoniser les politiques commerciales. Mais cinquante ans après sa naissance, les obstacles restent intacts : des échanges commerciaux toujours faibles, des barrières douanières omniprésentes, des corridors routiers gangrenés par les tracasseries administratives et sécuritaires. Le diagnostic est clair : la CEDEAO n’a pas atteint ses objectifs initiaux, et les citoyens en sont les premières victimes.
Talon brise le silence, creuse l’abcès
Parmi les rares dirigeants présents, Patrice Talon a fait figure de vigie, s’adressant à ses pairs avec un franc-parler rare dans ces enceintes feutrées. Avec un discours dense, structuré, empreint de réalisme, le président béninois a dénoncé les dysfonctionnements actuels et proposé des solutions concrètes. « À cause des tracasseries que l’on observe sur nos routes, il faut plus d’une journée pour aller de Lagos à Abidjan », a-t-il illustré avec force.
Mais c’est surtout dans cette phrase forte que le chef de l’État béninois a frappé un grand coup :
« Je veux dire à nos compatriotes que si nous ne partageons pas le même idéal démocratique, le même idéal de liberté ou politique, ce n’est pas aussi grave que de ne pas partager le même idéal économique. »
Par ce propos, Patrice Talon semble tracer une nouvelle ligne rouge : l’économie avant tout, au-delà des clivages politiques et idéologiques. Une manière de sauver l’essentiel – l’intégration – dans un contexte de tensions géopolitiques internes à la CEDEAO.
La CEDEAO au pied du mur WAES 2025 restera sans doute dans l’histoire comme le sommet du sursaut ou du naufrage annoncé. La CEDEAO est à la croisée des chemins. Le cri d’alarme de Patrice Talon pourrait ouvrir une nouvelle ère, si ses homologues acceptent de poser les vrais diagnostics et d’engager les réformes structurelles indispensables.
À défaut, l’idéal communautaire risque de s’éroder encore, dans une Afrique de l’Ouest de plus en plus fragmentée et désabusée.
