(L’option qui s’impose : Réformer ou disparaître)
La Cédéao fête cette année son cinquantième anniversaire. Les festivités ont débuté le 22 avril à Accra. Ce lundi, c’est Cotonou qui accueille les festivités. L’organisation régionale a vu le jour le 28 mai 1975 à Lagos. L’objectif de départ était de favoriser la coopération et l’intégration économiques des États ouest-africains. Si quinze États en font aujourd’hui partie, trois d’entre eux, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ont annoncé leur retrait de l’organisation. Cinquante ans après, comment en est-on arrivé là ? Une refondation de ses idéaux pour relancer la confiance perdu avec les populations.
Critiquée et fragilisée, l’organisation est aujourd’hui à la croisée des chemins. La Cédéao a pourtant démontré, par le passé, qu’elle savait s’adapter. En 1990, face au conflit au Libéria, elle met sur pied l’Ecomog, une force d’intervention. Neuf ans plus tard, elle s’ouvre aux enjeux sécuritaires en adoptant un protocole relatif aux questions de paix et de sécurité, avant d’adopter en 2001 un autre protocole consacré cette fois-ci à la démocratie et à la bonne gouvernance.
Mais l’organisation est profondément déstabilisée par la multiplication des conflits et l’apparition de l’extrémisme violent. « La Cédéao n’était pas équipée pour cela », précise Amandine Gnanguénon, chercheuse sénior à l’Africa policy research Institut de Berlin, avant d’ajouter : « Cela a été difficile de mettre à la fois en place les dispositifs, d’intervenir en même temps et de faire la prévention. Elle s’est laissée un peu déborder par tout cela et puis par le fait qu’elle a perdu la main sur son agenda », et ce au profit de nouvelles structures comme le G5 Sahel ou l’initiative d’Accra.
Avec la naissance de l’AES, sa survie est désormais en jeu. Pour continuer à exister et faire entendre sa voix, l’organisation n’a d’autre choix que de se réformer en profondeur. « Notamment de retourner vers ce qu’elle avait prôné, dès le départ. C’est-à-dire plus d’intégration économique et politique. Et donc retourner vers les populations et donner de la visibilité sur ses actions. Beaucoup de personnes ne savent pas ce qu’est la Cédéao. Je pense qu’il y a un gros déficit de communication », poursuit Amandine Gnanguénon.
Ces changements dépendent, avant tout, de la volonté des chefs d’État. Plus que la Commission, ce sont eux qui détiennent le pouvoir de faire évoluer les choses à travers la conférence des présidents.
Avancées et échecs économiques
Au commencement de la Cédéao, son rôle devait être avant tout économique. Il y a eu des avancées mais les objectifs, notamment un marché commun ouest-africain, n’ont pas tous été remplis.
Parmi les succès, on peut citer la libre circulation des personnes et des biens. Avec la carte d’identité Cédéao, pas besoin de carte de séjour pour accéder à tous les emplois, hors emplois publics, dans tous les pays de la région. C’est la grande réussite, selon le chercheur sénégalais, Pape Ibrahima Kane, qui cite également la taxe communautaire permettant une harmonisation des droits de douane.
Cependant, les projets d’infrastructures avec des corridors de transport sont plus mitigés. Seul celui entre Abidjan et Lagos est une réalité. Les autres réseaux routiers ne sont pas à la hauteur des promesses. Le commerce intrarégional stagne à moins de 15% du total des exportations.
Chaque pays continue de mener sa barque seul. Les économies se sont révélées peu complémentaires et la monnaie unique a été plusieurs fois annoncée, mais toujours reportée. Les disparités de ressources entre les pays, le manque de leadership – le Nigeria qui devrait être la locomotive de la Cédéao reste embourbé dans des problèmes politiques, économiques et sécuritaires – les crises à répétition dont la dernière en date reste la sortie du Mali du Niger et du Burkina Faso… Tous ces enchevêtrements empêchent la Cédéao d’atteindre ses ambitions de 1975.
En Côte d’Ivoire, la sortie de l’AES préoccupe les commerçants ouest-africains
Avec notre correspondant à Abidjan, Benoît Almeras
Les célébrations ont lieu alors que le Mali, le Burkina et le Niger ont quitté le bloc fin janvier 2025. Et même si les trois pays restent membres de la zone franc CFA dans l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) la situation suscite l’appréhension des commerçants, notamment en Côte d’Ivoire.
Le Forum des marchés d’Adjamé, à Abidjan est l’Afrique de l’Ouest en miniature. « Je viens du Mali » ; « Je suis burkinabè, mais je suis né ici en Côte d’Ivoire. » Ici, le commerce se fait avec toute la sous-région. Adama est burkinabè. Il importe des vêtements en tissu bogolan qu’il revend à Abidjan. Pour lui, la sortie de son pays de la Cédéao va poser problème. « Nous sommes commerçants. On peut partir de Côte d’Ivoire pour aller vendre au Burkina. On peut aller au Burkina pour venir vendre en Côte d’Ivoire… Les deux pays, s’ils ne s’entendent pas, ce n’est vraiment pas bon. Nous, on veut vraiment qu’ils s’entendent, on sera contents ! », explique-t-il.
Cette opinion est partagée par la plupart des commerçants. Avec la sortie de l’AES, ils craignent de ne plus pouvoir circuler aussi librement entre Abidjan et Bamako ou Ouagadougou.
Autre risque pour l’économiste ivoirien Alban Ahouré, celui de l’application de barrières douanières réciproques : « La sortie des pays de l’AES va entraîner des barrières tarifaires et cela pourrait affecter négativement les emplois si les entreprises n’arrivent pas à avoir de nouveaux marchés hors AES ou bien si les entreprises de l’AES n’arrivent pas à avoir d’autres marchés hors Cédéao. »
Reste que les pays de l’AES sont toujours membres de l’UEMOA et sont aussi des clients de la Côte d’Ivoire. En 2023, le Mali et le Burkina ont représenté à eux deux 13,5% des exportations ivoiriennes.
Cinquante ans après Lagos, le choix est clair : refonder ou disparaître.
À cinquante ans, la CEDEAO ne peut plus se contenter de son héritage. L’organisation est confrontée à une crise existentielle qui exige plus qu’un simple ajustement technique ou institutionnel. Il s’agit d’un véritable sursaut politique et moral. Sa survie passe par une refondation de ses principes, un retour sincère à ses missions originelles : l’intégration économique, la solidarité régionale et la défense des valeurs démocratiques.
Mais cette refondation ne pourra se faire sans une volonté politique affirmée des chefs d’État membres. Ce sont eux qui, au sein de la Conférence des présidents, peuvent initier une réforme ambitieuse, capable de restaurer la légitimité d’une CEDEAO trop souvent perçue comme distante, technocratique et inefficace.
Il faut retisser le lien rompu avec les populations. Rapprocher l’organisation des citoyens ouest-africains, leur montrer que l’intégration n’est pas qu’un concept diplomatique, mais un levier pour améliorer concrètement leurs conditions de vie. Cela passe par plus de communication, plus de transparence et des résultats visibles.
Les commerçants d’Adjamé, les jeunes entrepreneurs de Cotonou, les agriculteurs du Niger ne demandent pas des discours, mais des actes. Une CEDEAO rénovée, capable de porter une vision collective, inclusive et pragmatique de l’avenir ouest-africain.
L’organisation est à la croisée des chemins. Elle peut soit s’entêter dans ses réflexes de sommet, soit engager le virage décisif qui la réconciliera avec les peuples. Cinquante ans après Lagos, le choix est clair : refonder ou disparaître.
RFI/ASSOUMBOLO Moubarack
