Cela pourrait sembler incroyable, mais c’est désormais officiel : le Chef d’Arrondissement (CA) de Glo-Djigbé a été suspendu de ses fonctions par le maire de la commune d’Abomey-Calavi. Il est reproché à Gilbert Sétondji Boco – car c’est bien de lui qu’il s’agit – d’avoir publié des écrits critiques à l’encontre du gouvernement dans un forum WhatsApp réservé aux conseillers communaux de ladite commune.
La décision de suspension a été prise lors d’une session extraordinaire tenue le mercredi 4 mars. Contacté par nos confrères de Banouto, le maire Angelo Ahouandjinou a justifié cette mesure par un « manquement grave à l’obligation de réserve ».
Désormais, le message semble clair pour tous les élus du camp gouvernemental : s’ils souhaitent conserver leur poste ou espérer une promotion, ils doivent s’abstenir de critiquer les actions du Président Patrice Talon ou de son gouvernement. Alors qu’Ilalou Atikou, élu local du Bloc Républicain, n’a pas encore subi de représailles après avoir soutenu le parti Les Démocrates contre son propre camp, le maire Ahouandjinou, lui, n’a pas toléré les propos de Gilbert Sétondji Boco, qu’il considère comme une « faute grave ».
Les faits et la sanction
Il est reproché à Gilbert Sétondji Boco d’avoir exprimé des critiques sur la gestion du Président Patrice Talon et de son gouvernement dans un groupe WhatsApp destiné aux élus locaux de la 6ᵉ circonscription électorale.
À la suite de ces propos, le maire Angelo Ahouandjinou lui a adressé une demande d’explication. Peu après, une session extraordinaire a été convoquée et s’est tenue le mercredi suivant, en présence uniquement du maire, des élus communaux et du secrétaire exécutif.
Après avoir entendu l’intéressé, le conseil communal a décidé de le suspendre de ses fonctions. La décision a été justifiée en vertu des articles 119, 183 et 184 du Code de l’administration territoriale.
Que disent ces articles ?
Article 119 :
Constitue une faute lourde :
Toute infraction réprimée par la loi pénale et portant atteinte à l’honneur ou à la probité ;
Toute violation des règles de déontologie administrative, notamment un manquement grave au devoir, un abus de pouvoir ou un dysfonctionnement affectant l’exécution ou le fonctionnement du service public et portant gravement atteinte aux intérêts de la commune.
Article 183 :
Un chef d’arrondissement qui commet une faute lourde peut être révoqué de ses fonctions. Les fautes lourdes sont définies selon l’article 119 du présent Code.
Article 184 :
La faute lourde est constatée par le maire qui, après avis du conseil communal, peut prononcer par arrêté la suspension du chef d’arrondissement, après l’avoir mis en mesure de se défendre, soit par écrit, soit devant le conseil communal.
Le maire doit ensuite dresser un rapport au préfet dans un délai de huit (08) jours suivant la constatation de la faute. La suspension ne peut excéder soixante (60) jours. Passé ce délai, le chef d’arrondissement suspendu est automatiquement rétabli dans ses fonctions.
Une décision abusive ?
À la lumière de ces articles, on peut se demander si le maire de la ville-dortoir n’a pas abusé de ses pouvoirs en suspendant Gilbert Sétondji Boco pour avoir simplement exprimé son opinion sur la gestion du gouvernement.
Cette question mérite d’être posée, d’autant plus que le système partisan actuel autorise la coexistence de conseillers de l’opposition et de la mouvance présidentielle.
Si un élu de l’opposition critique le gouvernement, le maire réagirait-il de la même manière s’il appartient à la majorité présidentielle ? À l’inverse, un maire issu d’un parti d’opposition pourrait-il suspendre un conseiller communal pour avoir soutenu les actions du gouvernement ?
Autant de questions qui laissent penser qu’Angelo Ahouandjinou a manqué de discernement sur ce dossier.
Une question de discipline interne aux partis ?
Par ailleurs, le maire, en tant que membre d’un parti politique, aurait pu laisser sa formation politique statuer sur le cas de Gilbert Sétondji Boco. Il aurait été plus logique que ce soit le parti qui prenne des sanctions disciplinaires à l’encontre de son élu, plutôt que l’édile lui-même.
Dans un Bénin où le système partisan tend à dominer toutes les sphères politiques, où la discipline de groupe s’impose du sommet jusqu’à la base, les élus ne devraient-ils pas simplement quitter leur parti s’ils ne se reconnaissent plus dans sa ligne politique, plutôt que de critiquer publiquement la gestion du régime dont ils font partie ?
En attendant, tous les regards sont tournés vers le préfet. Après les 60 jours de suspension, ce dernier, sur la base du rapport qui lui sera transmis, pourrait soit rétablir Gilbert Sétondji Boco dans ses fonctions, soit convoquer le Conseil départemental de coordination et de concertation pour examiner une éventuelle révocation.
Le maire a-t-il respecté les articles cités ?
D’après une analyse des articles 119, 183 et 184 du Code de l’administration territoriale, la suspension du Chef d’Arrondissement (CA) de Glo-Djigbé par le maire Angelo Ahouandjinou semble juridiquement contestable.
Oui, sur la procédure
L’article 184 donne au maire le pouvoir de constater une faute lourde et de prononcer la suspension d’un CA, après l’avoir entendu et avec l’avis du conseil communal.
Apparemment, la procédure a été respectée : une demande d’explication a été envoyée, une session extraordinaire a eu lieu, et une suspension a été prononcée.
Non, sur le motif
L’article 119 définit la « faute lourde » comme :
Une infraction pénale portant atteinte à l’honneur ou à la probité.
Une violation des règles de déontologie administrative (abus de pouvoir, dysfonctionnement grave, atteinte aux intérêts de la commune).
L’article 183 précise que seules ces fautes lourdes justifient une suspension.
Or, critiquer le gouvernement sur WhatsApp ne relève pas d’une faute lourde au sens strict du Code. Ce n’est pas une infraction pénale.
Ce n’est ni un abus de pouvoir, ni un dysfonctionnement affectant la gestion de la commune.
Le maire avait-il le droit de suspendre le CA pour ce motif ? Juridiquement la réponse est negative. Car, le motif invoqué, à savoir une « critique du gouvernement », n’entre pas clairement dans les définitions légales de la faute lourde.
L’ »obligation de réserve » est un principe appliqué aux fonctionnaires, mais les élus locaux ont un mandat politique et une liberté d’expression plus large, surtout dans un système multipartiste.
Le maire aurait pu saisir le parti politique de Gilbert Sétondji Boco pour qu’il applique des sanctions disciplinaires internes, au lieu d’utiliser une mesure administrative discutable.
En conclusion le maire a suivi la procédure administrative, mais il a utilisé une interprétation discutable du concept de « faute lourde » pour suspendre un élu.
Sa décision ressemble plus à une sanction politique qu’à une véritable mesure administrative fondée sur le Code de l’administration territoriale.
Quels recours pour le Chef d’Arrondissement suspendu ?
Eu égard à tout ce qui précède, deux voies de recours s’offrent à Gilbert Sétondji Boco. Il pourrait saisir le préfet qui a le pouvoir de réviser la décision après les 60 jours de suspension. Il peut saisir la justice administrative (Cour Suprême) pour contester la légalité de la suspension, en s’appuyant sur une interprétation stricte des articles 119, 183 et 184.
✍️ La Rédaction
